José Giovanni > Biographie
1923 - 2004
Romancier, scénariste, dialoguiste et réalisateur, José Giovanni est un des rares artistes reconnus qui aura laissé une œuvre conséquente dans chacune de ces disciplines : vingt et un romans, un livre de souvenirs, trente-trois scénarios, quinze films et cinq téléfilms. Homme tout à la fois droit et plein d’humour, fidèle en amitié mais dur avec ses ennemis, ce romancier autodidacte excellait dans l’art de raconter une histoire dans un style très direct ponctué de métaphores hilarantes qui l’amèneront tout  naturellement vers le cinéma en tant que scénariste et dialoguiste puis réalisateur où il dirigera, comme nul autre, des stars comme Lino Ventura, Alain Delon, Jean-Paul Belmondo ou Jean Gabin et Claudia Cardinale.

D’abord inspiré par sa propre expérience de la prison et les parcours aventureux de caïds de la pègre des années quarante, il va élargir ses horizons vers les grands espaces et les thèmes westerniens, en gardant le même intérêt pour la fouille minutieuse des forces et des faiblesses de la nature humaine face à l’adversité et dans son rapport à l’autre par les vecteurs essentiels de l’amitié et de l’honneur.

D’origine Corse, né en 1923, à Paris, José Giovanni a vécu une enfance faite de hauts et de bas dans une famille d’hôteliers dont le père est un joueur de poker professionnel et la mère une joueuse de roulette qui cherchera toute sa vie la martingale miracle. Devenus progressivement propriétaires d’un palace en plein Paris, ils vont se retrouver ruinés par les remous du Krach de 1929. Ils se rétabliront en tenant un hôtel à Chamonix peu avant la déclaration de la guerre, où le jeune José se passionne pour la haute montagne et s’engage dans le mouvement « Jeunesse et Montagne ».

En 1944, il rejoint sa sœur à Nantes où il participe à des actions anti-allemandes dans la poche de Saint-Nazaire. C’est là qu’il se familiarise avec les armes à feu. Il est fait prisonnier et s’évade pour rejoindre Paris en 1945, après la Libération.  Il va être recruté par son oncle et son frère, membres de la pègre de Pigalle, pour participer à des chantages sur d’anciens trafiquants de l’Occupation. En 1945, au cours d’un de ces rackets, la victime se saisit d’un revolver égaré sur une table et tire dans la jambe de José Giovanni qui est évacué et opéré d’urgence. Pendant ce temps, ses complices éliminent les témoins.  Il est arrêté chez lui. Son frère sera arrêté un peu plus tard et s’évadera pendant la reconstitution avant de se faire tuer en cavale à Nice. En refusant de dénoncer son oncle, José reste seul à payer. Il est condamné à mort bien qu’il n’ait tiré aucun coup de feu. Mais grâce à une extraordinaire obstination, son père obtiendra sa grâce auprès du Président Vincent Auriol en convainquant les parties civiles de le soutenir dans sa démarche. Une dette immense envers son père dont il ne mesurera l’importance que beaucoup plus tard dans sa vie, se contentant d’une relation père fils froide et conflictuelle malgré la très grande admiration qu’ils avaient l’un pour l’autre. Ce rendez-vous manqué influencera tout un pan de son œuvre…

En 1956, après onze de détention, José Giovanni sort de prison. Dans le couloir de la mort, il avait tenu un journal écrit sur du papier pelure jaune avec un bic noir. Principaux outils de travail dont il ne se séparera jamais. C’est à la lecture de ces pages que son avocat, maître Stéphane Hecquet, lui-même écrivain, repère le talent de son client et l’incite à écrire. Ce sera Le Trou qui raconte son évasion manquée de la prison de la Santé. Edité par Gallimard, c’est un immense succès public et critique. Dans les mois qui suivent, il enchaîne avec une énergie et une inspiration débordantes sur quatre romans pour la Série Noire : Le Deuxième souffle, Classe tous risques, l’Excommunié et Histoire de Fou, qui lui vaudront  l’admiration d’intellectuels comme Pierre Marc Orlan ou Jean Cocteau.
 
En 1959, il rencontre Jacques Becker qui veut adapter Le Trou au cinéma et lui demande de l’assister comme conseiller technique sur l'univers carcéral. Il participe à l’écriture des dialogues et commence alors une double carrière de romancier (Les Aventuriers, Le Haut-Fer, Ho !, Meurtre au sommet) et de scénariste-dialoguiste pour l’adaptation de ses propres romans (Classe tous risques, Un nommé la Rocca (L'Excommunié), Les Grandes gueules (Le Haut-Fer), Le Deuxième souffle, Les Aventuriers) et l’écriture de scénarios originaux ou adaptations d’autres auteurs (Du rififi chez les femmes, Du Rififi à Tokyo, Symphonie pour un massacre, Avec la peau des autres, L’Homme de Marrakech) et une dernière intervention en tant que scénariste et dialoguiste sur le célébrissime Clan des siciliens. Cette décennie de « lumière après l’ombre » lui ouvre les portes de la notoriété. Il admire la finesse de Jacques Becker malheureusement trop vite disparu, prend du plaisir à travailler avec Jacques Deray, Robert Enrico et Henri Verneuil, s’entend  merveilleusement bien avec Claude Sautet mais déteste le machiavélisme de Melville. Il entame une longue amitié avec Lino Ventura. Amitié qui ne déclinera jamais. Il côtoie les plus grandes stars sans perdre de son humilité en continuant à s’enrichir au contact des plus grands. Loin des sirènes du showbiz, il fonde, dans un petit village de montagne Suisse, une famille qui lui donnera une énergie et une force qui n’ont d’égal que l’amour qu’il lui portera. Entre deux projets, il se risque à des ascensions difficiles avec, entre autre, son beau-frère René Desmaison, le célèbre alpiniste décédé récemment.
 
En 1965 il ajoute une troisième corde à son arc en se lançant dans la réalisation cinématographique avec La Loi du Survivant, adaptation d’une partie de son roman Les Aventuriers, cédant le reste et le titre à Robert Enrico deux ans après Les Grandes gueules tiré du Haut-Fer. Le tournage en Corse est très éprouvant pour toute l’équipe. Mais le succès critique du film intéresse les plus grands producteurs du moment. Il enchaîne ensuite sur deux succès publics avec Lino Ventura : Le Rapace et Dernier Domicile connu  qu’il adaptera de romans étrangers. Avant de connaître une mauvaise passe avec Où est passé Tom ? et Un aller simple qui ne trouveront pas leur public.
 
Jean-Paul Belmondo émet alors l’idée d’un remake d’Un Nommé La Rocca tiré de L’Excommunié. En fait, il s’était trouvé trop jeune pour le personnage dans le film de Jean Becker. José Giovanni convaînt Claudia Cardinale d’interpréter Giorgia. François de Roubaix compose l’inoubliable musique lancinante. Le film est un énorme succès. Invité à l’avant-première, Alain Delon est frappé par le talent de Giovanni pour mettre en valeur un acteur dans des rôles forts. Il ne sera pas déçu en tournant Deux hommes dans la ville, réquisitoire contre la peine de mort, inspiré par la célèbre phrase de Robert Badinter : « Et derrière ces murs, j’ai vu une machine qui tue ». Delon et Gabin y seront admirables, particulièrement dans la scène d’anthologie de l’exécution de Gino. Ils enchaînent avec Le Gitan, dont les photos de Delon ornent toujours les murs des caravanes des gens du voyage. Tiré d’Histoire de fou, ce scénario subtil donnera également un grand rôle à Paul Meurisse qui souhaitait depuis longtemps travailler avec l’auteur du Deuxième souffle. Malheureusement, l’échec de Comme un boomerang marquera la fin du duo Delon-Giovanni. Non dénué de qualités, le film souffrira d’un manque de préparation et du rejet du public de voir Delon en riche chef d’entreprise.
 
Un peu désabusé par la lourdeur des projets cinématographiques, José Giovanni préfère reprendre son « Bic » et écrit deux livres importants : Mon ami le traître sur la tentative de rachat d’un ex-collaborateur qui sera trahit par l’état et Le Musher, roman d’aventure en Alaska qui deviendra son grand projet cinématographique inabouti (qu’il tentera de monter jusqu’à la fin de sa carrière). Mais lorsqu’il s’agit d’adapter le livre de Spaggiari Les Egoûts du Paradis, c’est vers lui que l’on se tourne tout naturellement et vers un jeune acteur passionné et prometteur : Francis Huster. Il enchaîne avec Une robe noire pour un tueur où il reparle de la peine de mort dont il est devenu depuis Deux hommes dans la ville un des plus célèbre opposant. Mais son engagement n’est pas naïf. Il milite contre la peine de mort mais justifie la vendetta. Pour lui : « toute homme qui arrache un enfant des bras de sa mère mérite la mort ». Il dénonce les abus de la justice mais la voudrait plus dure, défend le rôle de la prison dans la société tout en ne cessant jamais ses visites au détenus qu’il ne veut pas qu’on exclut. Epouser certaines valeurs de droite comme la famille et l’ordre, ne l’empêche pas de fréquenter des communistes, des trotskistes, des maoïstes. Il déteste l’hypocrisie du monde politico-médiatique et résume sa philosophie personnelle par : « Etre révolutionnaire à 20 ans est un devoir. A 40 ans c’est une idiotie ».

Ecrit à deux mains avec Jean Schmitt, Les Loups entre eux est tiré d’un scénario que les auteurs ont voulu développer sous forme de roman. Il sort en 1982.

Lino Ventura, voulant tourner à nouveau avec son ami Giovanni, lui suggère d’adapter Les Ruffians qui deviendra Le Ruffian, son film le plus ambitieux et l’un de ses plus grands succès. Peu après, l’adaptation cinématographique des Loups entre eux, sera son plus mauvais souvenir de tournage. Les jeunes acteurs du films se livreront une guerre permanente et destructrice et un accident d’hélicoptère tuera un couple d’amis. Très affecté, Giovanni ralentit le rythme et tourne pour la télévision Le tueur du dimanche et La Louve qui bat un record  d’audience sur la Télévision Suisse Romande. Il adaptera son roman Mon ami le Traître avec Thierry Frémont et André Dussolier. Cela lui donnera l’occasion de nuancer le schéma simpliste que l’on faisait de l’occupation à cette époque et de s’interroger sur certaines hypocrisies de l’épuration.
 
1988 marque le début d’une pause dans sa carrière où il va plus s’investir dans sa vie familiale et personnelle, en faisant des virées en montagne et en vélo avec les «copains». Il tourne un très bon téléfilm sur fond de terrorisme avec Michel Sardou : L’irlandaise. Puis il se livre corps et âme à l’écriture son roman le plus ambitieux et le plus personnel, retraçant le parcours épique de son père jusqu’à son combat pour sauver son fils de l’échafaud : Il avait dans le cœur des jardins introuvables, qui obtient le prix Paul Léautaud en 1995. Il sortira trois autres gros romans très médiatisés : La mort du poisson rouge,  Le prince sans étoile et  Les chemins fauves.
 
En 2001, alors qu’il cherche toujours désespéremment à monter une adaptation cinématographique du Musher, Bertrand Tavernier lui propose d’adapter la fin d’Il avait dans le cœur des jardins introuvables. Une production légère, un groupe de jeunes acteurs, son ami Rufus et tout le talent de Bruno Cremer font de ce tournage un grand moment d’émotion où la fiction et les souvenirs se confondent. Mon père soulève l’enthousiasme des salles lors des avant-premières mais une distribution suicidaire va tuer dans l’oeuf son succès annoncé. José Giovanni est d’autant plus blessé que, quelques mois plus tard, les DVD du film seront rapidement en rupture de stock. Sentant que s’en est fini du cinéma et que le cancer gagne du terrain, il se plonge dans l’écriture de ses mémoires Mes grandes gueules puis continue courageusement avec les très bons Comme un vol de Vautour et Le pardon du grand Nord.
 
José Giovanni s’est éteint le 22 avril 2004, salué unanimement par les mondes du cinéma et de la littérature.
 
(Fabien Frémaux Charlot)